Pensées d'un poète anonyme.
Avez-vous déjà parcouru les rues plébéiennes de Dole, ces charmants endroits de vie, frétillant et bourdonnant ? On y croise, là, dans la promiscuité des gens sans terre, sans prétention et sans argent, l'assurance de la beauté de la vie parmi les hommes. Je m'y étais trouvé par hasard, persuadé alors de n'y rencontrer que la noirceur et la vilenie que l'on prête aux hères désespérés. Il y a dans la mythique conception de la juste noblesse un fascinant tour de force qui opère dans l'esprit des gens. Puisqu'il n'a pas la grâce divine, le peuple pullulant des cul de basses fosses seraient moins vertueux, moins beau, moins digne enfin. Leurs âmes sont méchantes. Leurs manières, inexistantes. Leur bonté, parcimonieusement économisée. Je ne puis dire de but en blanc qu'il n'y a pas dans ce mythe une once de vérité. Mais qu'est-ce qu'une once, dans l’immensité de la création du Très-Haut ? Du reste, c'est une once que ce dernier a partagé dans l'ensemble de son œuvre. Je puis plutôt vous faire part ici de la générosité de ce peuple franc-comtois, car ce serait mieux lui rendre justice. Il faut alors se penser modeste, de la même condition que l'homme du peuple pour comprendre sa générosité. Il faut de même se rêver seigneur, puissant, riche, excellent pour penser la générosité du fort. Car enfin, quelle grandeur y a-t-il a couvrir un homme d'or quand on peut en couvrir mille ? Non, la générosité est affaire de condition. Mieux encore, elle est affaire de cœur. Je crois que partout dans la société franc-comtoise, il y a ce soucis de donner mille fois et mille fois encore ce que l'on peut donner a un. Les mains tendues, gantées de velours ou rugueuses après la moisson, ont la même vertu de pénétrer l’âme de l'homme, de lui faire se sentir moins seul, plus complet, plus excellent, plus heureux enfin. Soigner mes pas dans les allées feutrées d'un château où l'on m'a convié, prier en compagnie des plus fervents prieurs ou partager avec le cultivateur la soupe de l'aube m'ont procuré la même exaltation de l’être, qui reconnaît alors le bonheur de son état. Les pommes données par le maraîcher se perçoivent alors comme autant de statue que l'on m’eût érigées. Prodigieusement, les statues n'en perdent pour autant point leur charme.
Louons alors les qualités des Franc-Comtois. Il y a, pour le poète attentif, une exaltation de cette beauté partout dans ces hommes et ces femmes. Le croquignolant fermier, qui vous hèle au loin, vous enjoignant dans des termes colorés a partager avec lui un peu d’amitié contenue dans une chope est un tableau pittoresque et mille fois renouvelés de cette harmonie, de cette paix vers laquelle ce peuple veut se diriger. La noblesse, inquiète, intelligente, dispute derrière des portes closes l'avenir radieux qu'elle veut promettre a son peuple. C'est l'exaltation de l'ordre terrestre qui actionne le mouvement de cette région. Rien ne semble altérer la volonté première, impensée qui constitue en rêve le fondement téléologique de ce pays. Ce récit optimiste de la Franche Comte, je veux la partager avec vous, lecteurs, qui me lisez dans ces heures que d'aucuns qualifient de sombres. Compterons-nous un jour l’occurrence du mot guerre, de celui de pénurie, des palabres discourtoises ? Serait-ce d'ailleurs un bien, que de compter ce que nous prenons pour nos abattis ?
Je ne pense pas que cette houle sur la mer franc-comtoise puisse a la fin la dénaturer. Il y a dans le principe même de cette existence que nous partageons, un désir commun, fédérateur qui devrait nous unir quand le destin veut parfois qu'il nous séparent. Cette bouteille a la mer que je lance, je désire ardemment qu'elle trouve le cœur des hommes et des femmes qui la repêcheront. Je veux insuffler dans le verre de cette bouteille l'amour fort et fragile que l'on veut partager avec son prochain. Je veux mettre dans cette bouteille un mouchoir blanc, signe de paix, pour que tous en deviennent l’émissaire. Je veux enfin que l'air que cette bouteille contient nous rappelle que nous respirons tous le même, que le Très-Haut a voulu que nous vécussions ensemble et qu'il en sera ainsi ad vitam æternam. C'est en émissaire de paix entre gens raisonnables et bons que je me présente a vous aujourd'hui. Je connais comme vous les impératifs, et les échéances, les enjeux et les rivalités. Que sont-ils, devant l’impérieux désir que nous partageons tous de voir la Franche-Comté prospérer ? Ne nous semblerions-nous pas moins futile en se tendant la main plutôt que de nous jeter le gant ? La richesse de l'excellence de nos êtres imparfaits nous impose des sensibilités différentes. Cela nous vaudrait de plus grands mérites que de savoir les accorder plutôt que de cultiver leurs antagonismes. Il nous incombe de faire de ces luttes fratricides un combat fraternel.